L’accord ce de cette semaine est effectivement historique : mutualisation des besoins, de la dette, relance en première approche. Mais ne nous réjouissons pas trop vite car il marque aussi le pouvoir des États « frugaux » jusque-là masqués par le Royaume-Uni et des régressions fortes pour des budgets cruciaux tant au niveau européen que pour les États qui bénéficieront de ces aides.
Quelle solidarité cet accord exprime-t-il donc finalement ? La réalité est assez éloignée de l’image dès lors que l’on y regarde de plus près. Le danger est imminent mais des solutions pourraient être plus proches que jamais.
Un accord majeur et positif qui instaure une mutualisation des dettes et dépasse la règle de l’unanimité
C’est fait, l’accord est scellé. Le soulagement s’étale à la une des journaux et sur les réseaux sociaux, l’Europe et nos États sont sauvés ! Effectivement, l’institution d’un mécanisme d’union fiscale constitue une immense avancée : on en termine avec des transferts budgétaires pour mutualiser une dette en considérant qu’il s’agit de notre difficulté commune, de notre avenir commun. En outre, les subventions et prêts dépendront des besoins des différents États et non du pouvoir de négociation de l’un ou de l’autre. Il s’agirait donc véritablement de solidarité. Parfait. Ou presque.
Autre avancée majeure, le droit de veto a sauté malgré tout l’activisme des pays « frugaux » mené par les Pays-Bas. Une poignée de gouvernements de petits pays riches a ferraillé contre l’idée même de cette solidarité européenne montrant toute la nocivité de la règle de la sacro-sainte règle de l’unanimité.
Pour bâtir l’Europe dont nous avons besoin, il faut poursuivre en dépassant la règle de l’unanimité en matière fiscale également pour créer des ressources propres pour l’Europe (taxe carbone, taxe climat, GAFA, transactions etc.) et lutter contre les paradis fiscaux qui y sont abrités. Les fameux « frugaux » qui exhibent des endettements publics bas mais des dettes privées très fortes. Or, 2009 nous a montré que les dettes privées trop fortes amènent à solliciter la puissance publique quand les turbulences sont trop fortes, donc au final, la dette privée devient alors soudainement et massivement publique.
Un accord au rabais car sacrifiant en fait à des choix « non solidaires »
Il faut ensuite regarder plus précisément ce qui a été validé, quelles sont les contreparties qui ont été demandées en gage. On retrouve des réformes dénommées « structurelles », comme en 2009, comme d’habitude avec le cortège des libéralisations qui les traduisent ensuite (par exemple, la réduction de services publics, le sabrage d’aides sociales, l’allègement des qualifications artisanales, la suppression des autorisations des grandes surfaces pour illustrer très concrètement). Solidarité ?
Au-delà, le plan de relance ne s’est bouclé qu’en coupant dans les budgets européens permettant la solidarité et la préparation de notre avenir commun (nos jeunes avec Erasmus, l’écologie, la recherche, la santé). Car, les commentateurs l’oublient mais les 27 viennent également d’adopter le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), c’est-à-dire le budget 2021-2027 de l’Union après des difficultés en février du fait de l’hostilité des Pays-Bas (on y revient). Or, ce budget est « petit pied » par rapport aux ambitions initiales, notamment pour financer les nouvelles priorités européennes qui étaient prévues. Il l’est d’autant plus que le plan de relance a été raboté sur son volet qui devait compléter le budget classique en subventionnant ces projets européens. Cette partie a été sacrifiée au profit des subventions directes aux États pour leurs plans de relance et de prêts puisque les « frugaux » ont, paradoxalement, insisté pour que les États les plus fragiles s’endettent un peu plus ( !). En termes de solidarité, on a donc préféré servir ces besoins de liquidité nationaux en supprimant l’investissement collectif d’avenir. L’industrie, la défense attendront et la santé (cf. programme « EU4Health ») aussi en pleine crise sanitaire, avec 100 000 morts déjà à déplorer. Quant à l’écologie, la Pologne restera au charbon avec un fonds pour la transition juste devenu peau de chagrin. Solidarité ?
Plus encore, Margaret Thatcher est de retour car les pays frugaux ont obtenu des rabais substantiels (et structurels) pour avoir leur « money back ». Dans le contexte actuel, cela signe un recul majeur en termes politique et de fonctionnement. Les pays frugaux n’ont pas perdu comme les éditoriaux l’affirment puisqu’ils ont en fait tenu la dragée haute au collectif européen. Pourtant, plus que d’autres peut-être, ils ont profité dans le passé de la solidité de l’euro. Leur refus de solidarité d’aujourd’hui pourrait leur revenir en boomerang s’il aboutit à affaiblir la monnaie unique dans quelques années par défaut de cohésion et parce que les pays du Sud pourraient être vacillants. Budget au petit pied, perspective à petite vue, petit bras. N’a-t-on vraiment rien appris de 2009 ?
Un accord préoccupant faute de socle démocratique suffisant
Où est l’Europe politique et démocratique ? Il est indispensable de renforcer les pouvoirs du Parlement, plus que jamais. Il est d’ailleurs à noter que le Parlement avait proposé un plan plus ambitieux, raboté par la Commission et à moins hier pour préserver les « frugaux ».
Au-delà de sujets de validation comme la conditionnalité des aides prévues par ce paquet européen et l’organisation d’un contrôle démocratique du processus, il faut savoir quelle Europe traduit réellement cet accord et ce n’est pas nécessairement celle de l’unité et de la solidarité.
Une épreuve de vérité sera la question du remboursement dans la mesure où les ressources propres n’étant pas (encore) au rendez-vous, ce sont les Etats qui rembourseront. Dans ce contexte, les intérêts européens ne convergent pas vers une coordination fiscale face aux quatre États « frugaux », par ailleurs champions du dumping fiscal. Il est donc à craindre que le remboursement donnera lieu à des marchandages et rapports de force, focalisés sur les capacités contributives de chacun dans ce contexte du retour de « my money back » dans une version plus aigüe que jamais (des prêts et pas des subventions, des rabais structurels),
L’Europe est à un tournant historique : cet accord contient des avancées majeures mais il accentue dangereusement des contradictions internes implosives. Seul le choix de la solidarité et de la cohérence est responsable et il n’est pas certain que ce soit, en réalité, la voie prise cette semaine malgré les tambours et trompettes. La gestion des prêts pourrait offrir à la communauté un levier lui permettant d’être à la hauteur des enjeux et au rendez-vous de la solidarité. Pour cela, il lui faut forcer son destin à la fois en termes redistributifs, de stratégie budgétaire et monétaire et dans un cadre démocratique renforcé.
C’est maintenant, à la rentrée lors du débat budgétaire au Parlement, que cela se joue.
Isabelle Amaglio-Térisse